Festival de Cannes, visite guidée (épisode 3)


Le beau temps se fait encore attendre... Mais certains signes indiquent une éclaircie, je croise le chroniqueur littéraire Eric Naulleau, qui se promène seul sur la Croisette, et le journaliste Patrick Poivre d'Arvor, en pleine séance de jogging. Heu... Ok, ce ne sont pas des stars du 7ème art mais c'est encourageant pour la suite ! ;) Et la "météo cinématographique" va s'avérer plus clémente pour moi.


Bref, aujourd'hui trois belles projections sont au programme. La première, à mon "quartier général", le "Théâtre Croisette JW Marriott" : Room 237 de Rodney Aschner, un documentaire qui attire aussitôt l'oeil des cinéphiles puisqu'il propose à plusieurs intervenants de donner leur interprétation du film Shining de Stanley Kubrick. La séance est plutôt amusante, le public réagit bien, les rires fusent en réaction aux diverses théories, certaines délirantes, d'autres pertinentes mais pas assez approfondies. Voici quelques-unes de leurs réflexions. Un historien s'est amusé à relever les détails du film qui évoquent le thème de l'holocauste, américain (envers les Indiens) et allemand (envers les Juifs) : le motif de la "machine à écrire" (de marque "Adler" qui signifie "Aigle" en allemand, l'animal étant le symbole de la puissance nazie mais aussi américaine), on connait le rôle que les machines à écrire ont joué durant la Seconde Guerre Mondiale (voir le recensement des Juifs dans La liste de Schindler de Steven Spielberg) ; le chiffre "42" sur l'épaulette du jeune Danny Lloyd, en référence à l'année où les Nazis ont lancé leur processus d'extermination. D'ailleurs, si on multiplie les numéros de la chambre n°237, on obtient 42...


Un autre intervenant propose une vision axée sur le "complot gouvernemental". Selon lui, les expérimentations techniques de Kubrick pour 2001, l'odyssée de l'espace (la "projection frontale") auraient convaincu la NASA de lui confier la réalisation en studio de l'atterissage lunaire de la mission "Apollo 11". Le réalisateur aurait donc participé à cette gigantesque supercherie. C'est cette culpabilité d'avoir menti à ses proches que l'on retrouve dans Shining : une scène d'aveux entre Jack Nicholson et Shelley Duvall ; le tee-shirt "Apollo 11" que porte Lloyd ; l'enfant qui se rend dans la mystérieuse chambre n°237 (jeu de mots possible en anglais "moon room" ; "237 000 km" sépareraient la Lune de la Terre), etc.

Au final, c'est un bon exercice pour tous ceux qui s'intéressent à l'analyse filmique. Malgré les excès et les limites qui en découlent, cela peut mener à quelques vérités. Ici, Kubrick inviterait le spectateur à prendre conscience que "le passé et les fantômes de l'Histoire affectent notre présent", il faudrait donc toujours y revenir et en tirer des enseignements (voir la scène finale où l'enfant parvient à s'échapper du labyrinthe et à sauver sa vie en revenant sur ses pas).



La seconde projection se déroule dans la "Salle du Soixantième", où Roman Polanski vient présenter la version restaurée de Tess (1979). Cette fois, j'ai pris mes dispositions, je suis arrivé tôt pour être certain de ne pas manquer ce rendez-vous. À la surprise générale, Thierry Frémaux nous présente en exclusivité mondiale le "nouveau film 2012" du réalisateur polonais ! En vérité, c'est une publicité pour la marque de vêtements Prada (une rencontre cocasse entre un psy et sa cliente dans son cabinet, interprétés par Ben Kingsley et Helena Bonham Carter) ! Puis Polanski monte sur scène, accompagné par l'actrice Nastassja Kinski et Jérome Seydoux le président de Pathé. Les spectateurs sont en effervescence...

Dans l'Angleterre du XIXème siècle, un paysan du Dorset, John Durbeyfield, découvre par hasard qu'il est le dernier descendant d'une grande famille d'aristocrates. Motivé par le profit qu'il pourrait tirer de cette noblesse perdue, Durbeyfield envoie sa fille aînée, Tess, se réclamer de cette parenté chez la riche famille des d'Urberville. Le jeune Alec d'Urberville, charmé par la beauté de sa "délicieuse cousine", accepte de l'employer et met tout en oeuvre pour la séduire.


2h50 minutes plus tard, mon verdict tombe : ce conte de fée revisité avec âpreté, est profondemment ennuyeux, insipide et désuet. Malgré son ambition "internationale" (une co-production franco-anglaise menée par Claude Berri) et quelques réflexions intriguantes (la scène finale à Stonehenge renvoie à la volonté pour Tess de dépasser sa simple destinée de mortelle en se sacrifiant aux Dieux), le potentiel de l'intrigue me paraît sous-exploité. Lors de la dernière demi-heure du film, une discothèque à proximité a commencé à diffuser de la musique. Imaginez un film historique "à l'eau de rose" comme Tess auquel on ajouterait les vibrations électroniques de "I gotta feeling" des Black Eyed Peas ! Un amusant anachronisme qui a sans doute desservi la bonne réception du film... Autre regret, à la fin de la projection, les applaudissements du public (sortant à peine d'une profonde léthargie ?) m'ont paru trop timides pour un cinéaste de cette ampleur...




La soirée n'est pas terminée, je monte les marches du tapis rouge qui mènent au Graal, la salle "Grand Théâtre Lumière" du "Palais des Festivals", afin d'assister à la "Séance de Minuit" : Ai to Makoto, du réalisateur japonais Takashi Miike, ressemble à un manga filmé en live. Une histoire d'amour impossible qui se déroule dans des lycées aux moeurs particulièrement farfelus (rappelant le dessin animé Un collège fou fou fou). Mise en scène déjantée, belle photographie aux couleurs saturées et granuleuses. Il y a même des scènes de comédie musicale ! Pourtant malgré les nombreux rires dans la salle, je reste de marbre face à ce délire grand-guignolesque, étant convaincu qu'un film d'animation aurait permis un bien meilleur résultat... Tout cela (décors, poses et attitudes des acteurs) sonne un peu faux. Mais cela ne m'empêche pas de repartir les yeux pleins d'étoiles... car je l'ai eu mon "ticket bleu" !


À suivre...
Maxime Lesage