Festival de Cannes, visite guidée (épisode 2)


Lever (trop) matinal, sous un ciel grisâtre. La journée s'annonce compliquée... Encore fatigué par le "jetlag", je me rend en mode automatique jusqu'au stand "Cinéphile" pour y découvrir le menu du jour. Je choisis deux documentaires : Les Invisibles de Sébastien Lifshitz (sur les difficultés que rencontrent les couples gays) et Method to the madness of Jerry Lewis de Gregg Barson. Puis je salue les hôtesses d'accueil avant de partir.


Ah les hôtesses d'accueil ! J'adore leur patience et leur beau sourire, qui se crispe de plus en plus au fil des heures. Il faut dire qu'elles sont sans cesse sollicitées, toujours les mêmes questions, par des cinéphiles exigeants qui réclament des "tickets bleus", ceux de la "Sélection Officielle", des stars, du "glamour" et du tapis rouge... En vain, nous devrons nous contenter des "tickets jaunes", ceux des sections "Cannes Classics" et "Séance Spéciale". C'est déjà bien assez pour nous satisfaire. Mais le plus rageant est parfois de rater ces projections ou de se sentir considéré comme un public de "seconde classe"...


Par exemple, en fin de matinée, au stand de la "Quinzaine des Réalisateurs", je demande à une charmante hôtesse de m'indiquer la bonne file d'attente (quatre au choix, réservées à la Presse, aux professionnels du "Marché du Film", etc, selon un code couleur noir, rouge, bleu ou vert ! Ce n'est pas très clair et je ne veux pas perdre de temps). Elle bredouille quelques mots, "Heu, je ne sais pas...", regarde mon accréditation "Cinéphile" puis me répond en ricanant d'un élégant : "Vous êtes... rien !". Je la remercie de m'avoir démasqué et décide de me débrouiller seul dans cette galère.



Finalement, je parviens à entrer dans la salle du "Théâtre Croisette JW Marriott", la même qu'hier, cette fois au balcon. La vue est agréable (hormis quelques fois où une spectatrice, disons "très âgée", assise devant moi, se lèvera pour "détendre son dos courbaturé" durant la projection !). Mais parlons plutôt de Enfance clandestine, réalisé par Benjamin Avila. Synopsis : "Argentine 1979, Juan, 12 ans, revient avec sa famille à Buenos Aires après des années d'exil. Membres d'une organisation qui lutte contre la junte militaire, ses parents et son oncle sont traqués sans relâche. Juan vit dans ce quotidien difficile. Et à l'école, il ne doit pas oublier que, pour tous, il doit se prénommer Ernesto, y compris pour Maria dont il est amoureux".


Le film est puissant, dur, tendre et drôle à la fois. La mise en scène est sobre mais inspirée : des animations sublimes et tendues illustrent les scènes de violence ; Avila travaille avec intelligence les motifs du "regard voilé" et de la "cacahuète au chocolat" (voir le film pour comprendre ! la thématique du film étant métaphorisée par ce procédé qui met en opposition les mondes enfant/adulte et garçon/fille).


J'assiste ensuite au débat après la projection, le public est ému, l'équipe du film également. Car le sujet est encore très sensible, c'est un "film cathartique" pour les comédiens. Une spectatrice, en larmes, évoque la question du "sacrifice de toute une génération". Avila confirme mais nuance son propos, "les idées politiques (et les émotions) sont plus fortes que l'argent, elles subsistent encore aujourd'hui. La jeune génération actuelle doit les reconquérir". Le réalisateur argentin insiste sur cette puissance des "émotions" en justifiant son choix d'avoir inséré les séquences animées, non pas pour créer une distanciation avec le spectateur mais au contraire, l'impliquer, le pousser à imaginer une violence plus dure encore que si ces scènes avaient été filmées en réel.



Je me réjouissais de me rendre à la "Salle du Soixantième", perchée sur les toits du "Palais des Festivals". Mais trop de monde étant présent (bravo aux organisateurs, malgré leur système de décompte !), j'ai été refoulé de la projection des Invisibles (titre visiblement prémonitoire). Et la pluie est venue jouer les troubles-fêtes. Elle m'a gentiment reconduit à l'intérieur du "bunker". Mon geste "subversif" du jour ? Déambuler en sous-sol dans les allées du "Marché du Film", où seuls les professionnels sont autorisés... Mais là encore, je ne parviendrais pas à vendre mes scénarios, ni aux Russes, ni aux Asiatiques, ni aux Arabes, même pas aux producteurs de série Z ;) En exclusivité, une photo volée de la "Salle Officielle de Conférence de Presse". Sans célébrités évidemment...



Après une attente interminable, je rentre enfin dans la "Salle Buñuel", j'y croise Stéphane Goudet, professeur à la Sorbonne en Cinéma burlesque. Lui aussi vient visionner le documentaire  Method to the madness of Jerry Lewis. Hélas, âgé de 86 ans, le génial comique américain n'a pas pu accompagner l'équipe du film à Cannes pour y faire une présentation et honorer le public de sa présence... Peu importe, découvrir sa vie incroyable est passionnant.


Dans les années 1950, Lewis a formé un duo avec Dean Martin, qui l'a propulsé comme une immense star, capable d'attirer des milliers de fans à chacune de ses représentations de music-hall ! Il a influencé toute une génération de comiques par son sens du rythme et de l'improvisation, ses gags cartoonesques, ses grimaces et ses métamorphoses. Son parcours dans le milieu du cinéma en tant qu'auteur/réalisateur/producteur a été exemplaire (il a inventé le "retour vidéo" aujourd'hui devenu indispensable lors de la phase du tournage, et a enseigné la mise en scène à Steven Spielberg, Peter Bogdanovich, Martin Scorcese lorsqu'ils étaient étudiants).


Les pitreries de ce génie américain me permettent de retrouver un peu le sourire durant 2 heures. Mais à l'extérieur, la météo est vraiment catastrophique, et sur le chemin du retour, je suis démoralisé par une violente averse qui me tombe dessus... Quel film parviendra à inverser la tendance et faire revenir le soleil sur la Croisette ?

À suivre...
Maxime Lesage