Festival de Cannes, visite guidée (épisode 1)




Arrivé à Cannes samedi 19 mai en début d'après-midi, je me lance aussitôt dans le marathon du Festival (j'ai quand même raté la cérémonie d'ouverture et les films événements de Wes Anderson, Jacques Audiard !). Je traverse la Croisette sous un soleil radieux et croise l'imitateur Yves Lecoq, le musicien Sebastien Tellier, quel beau contraste ! Direction le stand "Cinéphile" pour récupérer mon accréditation. J'en profite pour m'emparer des tickets disponibles (deux invitations maximum par personne). Dilemme... La programmation de fin de soirée propose The ring un film inédit d'Alfred Hitchcock (1927), Lawrence d'Arabie de David Lean ou la version longue Il était une fois en Amérique de Sergio Leone. Je découvre une "Leçon de musique d'Alexandre Desplat" à 14h30, que je prend sans hésiter. Puis je porte mon choix sur le film de Leone (en espérant que Robert De Niro sera là pour m'accueillir !).


Pas le temps de déjeuner, j'entre directement dans le "bunker", le Palais des Festivals", où la leçon du meilleur compositeur français actuel m'attend. "Salle Buñuel" au dernier étage. J'étais déjà venu au Festival de Cannes l'année dernière, je retrouve vite mes habitudes (une course contre la montre pour assister aux projections !) et j'avoue avoir un peu honte d'éviter l'immense file d'attente en trouvant un passage dérobé que je suis le seul à connaître ;)  Une demi-heure de gagnée. Au moins, je serai bien assis ! Et en bonne compagnie puisque je rencontre une étudiante de L3 Cinéma Paris-Sorbonne.


La salle se remplit rapidement. Thierry Frémaux, le délégué général du Festival, (sous le regard de Gilles Jacob, le président du Festival, en retrait) apparaît sur scène et fait son habituelle présentation d'avant-séance. Toujours les mots justes et sa bonne humeur ! Alexandre Desplat le rejoint sous les applaudissements. Sa leçon ne consiste pas à parler uniquement des films sur lesquels il a travaillés (Ghostwriter de Roman Polanski, Un héros très discretSur mes lèvres et Un Prophète de Jacques Audiard, The Queen de Stephen Frears). Aujourd'hui, il tient à rendre hommage à tous les maîtres qui l'ont influencé (Bernard Herrmann, Georges Delerue, Nino Rota, David Raksin, Maurice Jarre, John Williams, Toru Takemitsu). Desplat anime seul la séance, quelques extraits de films argumentent ses propos : Les nerfs à vif de Martin Scorcese, La peau douce de François Truffaut, Amarcord de Federico Fellini, Laura d'Otto Preminger, Chinatown de Roman Polanski, Witness de Peter Weir, Indiana Jones et la dernière croisade de Steven Spielberg, Ran d'Akira Kurosawa. Je découvre les notions de "musique horizontale" (à l'opposé d'une musique hollywoodienne contemporaine qui se contenterait de suivre le film et d'en souligner les actions, les émotions) et de "spoting" (discussions entre le compositeur, les monteurs sons et le réalisateur pour déterminer où placer la musique).

Selon Desplat, un compositeur doit être lui-même un cinéaste, avoir le sens du rythme et être capable de travailler dans l'urgence (les délais sont souvent très courts). Puis il remercie Solveig Anspach, musicienne, avec qui il a expérimenté le "quintette à cordes", un instrument qui a permis de "moderniser" l'orchestration symphonique qu'il affectionne tant. Sa leçon s'achève sur Les Désaxés de John Huston (avec Marilyn Monroe). Son mot de conclusion : "la musique EST le film, sa synthèse, son âme".


Il me reste du temps avant d'assister au film de Leone (à 20h), j'en profite pour m'aérer un peu. Première frustration : je rencontre Harvey Weinstein, une de mes "idoles", le célèbre producteur-distributeur américain, à la mine patibulaire et au profil de "gangster", mais véritable cinéphile capable d'acheter des millions de dollars des films étrangers "coup de cœur" ! Il a remporté des dizaines d'Oscars grâce à son lobbying (dont le dernier est The Artist de Michel Hazanavicius). Weinstein se promène tranquillement, en tout anonymat, dans une rue à proximité du palace "Majestic Barrière" (où il séjourne), mais refusera de me signer un autographe (et d'acheter un de mes scénarios) ! Je suis un peu déçu, il ne m'a même pas insulté. Seul un "No", d'une voix grave et autoritaire, retentit. Je m'incline avec admiration.


Quelques instants plus tard, je récupère un billet au stand de la "Quinzaine des Réalisateurs" pour Le Repenti, nouveau film de Merzak Allouache (dont Omar Gatlatlo en 1976 a amorcé un renouveau du cinéma algérien par son esthétique et ses thématiques axées sur la société et les jeunes générations plutôt que la guerre de libération). Dans la file d'attente qui mène à la salle "Théâtre Croisette JW Marriott", je rencontre Agnès DeVictor, professeur en Histoire du Cinéma occidental à la Sorbonne, invitée pour l'occasion, mais obligée de jongler entre ses cours à Paris et le Festival. Contrairement à moi, elle ne pourra pas rester plusieurs jours d'affilée.


Le Repenti raconte les péripéties de Rachid, un jeune jihadiste, qui se rend à la Police pour bénéficier d'une amnistie. Mais cette loi de "pardon et concorde nationale" ne peut effacer les crimes.... À la fin de la projection, mon avis est mitigé, le film me paraît manquer de rythme malgré un propos fort, quelques bonnes idées de mise en scène (jeu sur la profondeur de champ, par exemple, où Rachid est "associé" à une bétonneuse, a priori la jeunesse comme ciment d'une société) et ses liens avec Omar Gatlato (Selma, le personnage féminin récurrent ; le constat social est toujours aussi alarmant, les conditions de vie des jeunes Algériens se sont dégradées avec la vague de terrorisme).


En sortant de la salle de cinéma, je réalise que je viens de rater la première heure de Il était une fois en Amérique. Considérant que ma demi-journée à Cannes a été riche en événements, je renonce à visionner les 253 minutes du film... Je récupère la brochure sur The Ring de Hitchcock et tous les magazines gratuits ("Variety", "Le Film Français", "Screen", "Écran Total") pour me rassasier en attendant les nouvelles aventures cinématographiques du lendemain !

À suivre...

Maxime Lesage