Que faut-il attendre du « Tintin » de Spielberg ?


On constate souvent qu’un cinéaste passe sa vie à refaire toujours le même film. En tout cas, à traiter de la même thématique. Il ne s’agit pas d’un manque d’audace ou d’inspiration. C’est plutôt une façon pour lui de constituer une œuvre riche, complexe et dans laquelle on retrouve, à travers une grille de lecture personnalisée, des éléments cinématographiques récurrents. Le cinéaste tente de résoudre un problème personnel, avec lequel il a grandi et sur lequel il veut apporter de nouvelles approches au fur et à mesure qu’il évolue avec l’âge, l’expérience et la maturité.


Prenons l’exemple de Steven Spielberg. Un cinéaste considéré par le grand public comme un entertainer mièvre, infantile, obsédé par les extra-terrestres et le happy end. Son nouveau film,  « Les aventures de Tintin » se contentera-t-il d’être une simple variation, ludique, des « Indiana Jones » (dont la parenté a toujours été avouée et assumée) ?



Étudions l’affiche-teaser pour mieux comprendre vers quoi le film devrait tendre. Elle contient un certain nombre d’éléments révélateurs.



La première chose qui surprend est l’ambiance visuelle. Alors qu’on s’attendait à une explosion de couleurs vives comme c‘est le cas dans la bande dessinée, l’affiche instaure une atmosphère sombre, teintée d’un bleu mélancolique. Une Lune, un mystérieux navire et un héros dissimulé dans l’ombre…

Durant toute son œuvre, Spielberg n’aura de cesse de matérialiser à l’écran son pire trauma : la perte de l’innocence, le douloureux passage à l’âge adulte. L‘enfant-roi (le « wonder boy ») meurt en devenant adulte. De l’émerveillement à la mélancolie. La fin d’une période bénie d‘insouciance, de célébration et de créativité.



 Plus le temps passe et plus ce symbole s‘assombrit, se résorbe, dans le cinéma de Spielberg… Le pouvoir solaire de « Rencontres du troisième type », « 1941 » et « Les aventuriers de l'arche perdu » devient lunaire avec « E.T. l'extra-terrestre » (la fameuse séquence à vélo), « L'Empire du soleil », « Intelligence Artificielle » et le logo des sociétés Amblin et DreamWorks : une lune pleine et un clair de lune.

La figure du « requin » est omniprésente dans sa filmographie et va dans le même sens. Le symbole est fort : de sombres pulsions enfouies (une violence adulte) resurgissent à la surface et détruisent la part d’enfance. Cela fait écho à la scène des « Dents de la mer » où un jeune garçon est victime du requin.




Dans « 1941 », la figure est dédoublée avec le sous-marin japonais et l‘avion américain. L’intégralité du film n’est que parodie, débordant de gags, explosions et personnages infantiles. Pourtant la fin (destruction de la maison familiale, échec des jeunes soldats, fuite du pilote américain avec les Japonais) n’a rien d’un happy end.



Spielberg fait une variation du « requin » avec le navire de « Hook, la revanche du capitaine Crochet » (l'histoire d’un Peter Pan devenu adulte, incapable d’assumer son rôle de père et qui ne parvient plus à redevenir l’enfant qu’il était. Son ennemi, par symétrie, est le dépressif Capitaine Crochet, qui dirige ce navire. Lui a une peur bleue du temps qui passe et tente de s’emparer des enfants de Peter pour se redonner une nouvelle vitalité)...




et « Amistad »(des esclaves africains, enfermés dans la soute d’un navire, jaillissent sur le ponton pour se battre contre leurs geôliers et retrouver leur liberté. Ou la métaphore d’une résurrection de l‘enfance, de la lutte contre un monde civilisé adulte, destructeur et cruel, vers un retour à une vie originelle, pure et authentique).





Puis Spielberg reprend la figure du « requin » dans « Intelligence Artificielle » lorsque David utilise un « amphicoptère » pour rechercher la Fée Bleue (et tenter de devenir un véritable enfant) dans un parc d‘attractions enfoui sous l‘océan (la scène fait d’ailleurs écho au parc d‘attractions illuminé de « 1941 »).



Avec ce film, on constate l’évolution du cinéma de Spielberg, où naît son obsession de vouloir retrouver une enfance perdue à travers le cinéma, de faire revivre ce passé : un robot-enfant symbolise la dualité d‘un être dénué de sentiments (le robot ou l‘adulte froid et désabusé) sous une carapace d’enfant (qui suscite l‘affection, l‘émotion positive).
Les films de Spielberg sont ainsi faits : en apparence des divertissements spectaculaires et très marqués visuellement, mais dissimulant une profonde mélancolie et des questionnements existentiels complexes.
En toute logique, Spielberg a donc choisi d’adapter la bande dessinée diptyque « Le secret de la Licorne » et « Le trésor de Rackham le Rouge » dans lequel Tintin (l’enfant-aventurier) est confronté au mystère d’un navire (le message secret de la maquette, le sous-marin « requin ») et à son alter-ego adulte (le dépressif capitaine Haddock). On y retrouve tous les thèmes et symboles du réalisateur.



Spielberg inverse sa figure du « requin », qui est cette fois contrôlée par Tintin, dans le but de faire ressurgir à la surface cette part d’enfance si précieuse (un retour aux sources du bateau « La Licorne » enfoui sous les eaux).  Nous verrons la prochaine fois, que cette figure du « requin » possède une lecture supplémentaire, au-delà de la personnalité privée de Spielberg.


Maxime Lesage


Mise à jour : « Sapristi ! » La scène d'exploration à bord du sous-marin « requin » n'apparait finalement pas dans ce premier film ! Spielberg l'a sans doute évincé tant sa signification était évidente. Mais aussi pour des raisons de rythme et pour introduire plus tard, un autre personnage fort de la bande dessinée : le professeur Tournesol. Il faudra donc attendre de voir la trilogie prévue, dans son ensemble, pour clarifier tous les enjeux de mon analyse.