Habemus Papam… Amen !

On pourrait également dire « Amer ». Car Habemus Papam est loin d’être la gentille comédie aux teintes surréalistes qu’on pourrait imaginer (voir l'exemple de la scène du tournoi de volleyball).

Que veut dire Nanni Moretti avec ce film ? De toute évidence, Habemus Papam ne parle pas de religion, ni de crise de foi, il n’est pas non plus un pamphlet contre le Vatican… En filigrane, Moretti dresse son propre bilan du cinéma italien contemporain. Et le constat est terrifiant.

Historiquement, tout au long du XXème siècle le cinéma italien a brillé au niveau international (par ses films historiques épiques, ses péplums, à la gloire de l’empire romain, évoquons également la forte influence du néoréalisme) avant de s’effondrer à partir des années 1980 avec l'arrivée de la télévision...


Aujourd’hui, il apparaît comme un cinéma « en ruines », incapable de retrouver l‘éclat du passé… Moretti s’est battu durant toute sa carrière pour dénoncer ce gâchis et faire bouger les choses. Hormis une poignée de réalisateurs talentueux, le cinéma italien ne parvient pas à se relever et se voit remplacé par la télévision berlusconienne. Et l’État n’intervient pas assez, adoptant la politique de l’autruche. « Non, non, tout va bien merci ! »


Désormais informé par ce drame que vit le cinéma italien, on revoit Habemus Papam d’un autre œil… La figure du Pape apparait comme une parabole. Le film commence justement sur son enterrement : le grand cinéma italien d’autrefois est mort. Il faut prendre la relève (trouver un nouveau chef de file pour faire bonne impression) mais aucun Cardinal n’ose porter ce lourd poids à lui seul. La foule, les fidèles, autrement dit les spectateurs, s’impatientent… Finalement, le nouveau Pape (Michel Piccoli) est désigné presque à l’unanimité, tout est officialisé avant même qu’il n’ait véritablement accepté…


Au moment de se présenter face au monde, survient la dure réalité, honteuse : le cinéma italien contemporain ne fait pas le poids. Le nouveau Pape est étouffé par le protocole (ainsi que par sa tenue vestimentaire, les apparences, le décorum) et se fissure. Il prend la fuite par une porte dérobée. Un cinéma contemporain indigne de son glorieux passé. Les « autorités » refusent de l’avouer et choisissent d’opter pour le mensonge plutôt que de révéler la vérité au public. « Si, c’est le même qu'avant ! »


Cela est illustré par la scène du Garde désigné pour habiter la chambre papale et la rendre « vivante » aux yeux de tous, celle où il s‘empiffre en visionnant une télévision abrutissante et où les intervenants ne comprennent pas ce qu'ils disent. Moretti critique vivement la chaîne Raï, dont les financiers ont affaibli les artistes pour prendre leur place dans le milieu du cinéma et s’y « engraisser ».


Apparaissant dans le rôle d’un psychanalyste, Moretti n’oublie pas de faire son autocritique. Ses entretiens avec le nouveau Pape et les Cardinaux sont incisifs et si révélateurs d’un système sclérosé… L’avenir du cinéma italien est incertain. « Combien de temps serait-je malade ? » demande-t-il. « Je ne sais pas. » lui donne-t-on comme réponse. Car aucune décision n’est prise, ni envisagée, pour y remédier…


Puis Moretti organise un tournoi de volleyball où les Cardinaux sont sélectionnés selon leur nationalité. Cette scène surréaliste est claire : sans pour autant les renier, il déplore l’idée des festivals et autres cérémonies internationaux où les cinémas nationaux sont mis en concurrence. Récompenser un réalisateur italien, africain, brésilien, ne règlera pas les problèmes que ces cinémas rencontrent dans leurs pays pour exister. C’est l’arbre qui cache la forêt… Moretti déplore sans doute cette compétition et le manque de soutien général.


Le Pape sème ses gardes du corps grâce à un camion bien particulier sur lequel est écrit « International ». Moretti semble regretter que les talents italiens, faute de pouvoir s’épanouir dans leur pays, soient contraints d’aller travailler à l’étranger… Le problème ne fait que s’aggraver…


Au contact de la population, le Pape reprend son souffle, renaît progressivement. Il se libère du mal qui le ronge puis retrouve sa lucidité, la passion et la grandeur qui l‘animaient autrefois. En cela, les scènes évoquant la jeune troupe de théâtre sont éloquentes : l’acteur principal est absent, la représentation est en péril… Dans la scène de l’hôtel, l'acteur d’abord considéré comme fou (il récite à haute voix ses textes dans le couloir comme un cri de détresse, sans se soucier s’il dérange les résidents, puis il grimpe à bord d’une ambulance qui l‘attendait), souffre en vérité d‘une intoxication alimentaire. A cause d’une omelette (à base d’œufs donc), qui symbolise « l’embryon » c’est-à-dire la nouvelle génération d’artistes, malade, incapable d‘exister. Le Pape est celui qui relancera la troupe de théâtre, tout en restant spectateur lors de la représentation.


Au final, avec ce film, Moretti semble résigné et lassé de son combat, qu’il a mené durant plusieurs décennies et qui n’a hélas pas porté ses fruits… C’est pourquoi, à l’instar de la décision finale du Pape, il abandonne ses responsabilités, cesse d’être ce chef de file, ce guide, (plus qu’un étendard) dont le cinéma italien a tant besoin.
Il y a vraiment cette idée de passation de pouvoir qu’exhorte Moretti. Place à la nouvelle génération ! Qu’elle se constitue en un bloc solide, solidaire, et non pas par des individualités, qu’elle s’affranchisse du « protocole » cinématographique, qu'elle se débarrasse de ce carcan, qu’elle s’affirme en une nouvelle identité forte, accompagnée et nourrie par les grands cinéastes du passé…
Bref, un nouveau « conclave » est nécessaire. Vite !

Maxime Lesage