Vous avez-dit Chaplin ?

      Qui n'a jamais entendu parler de Charlie Chaplin ? Qu'il s'agisse des Temps Modernes ou du Dictateur (pour ne citer qu'eux), personne ne reste insensible à son humour et à son art de la mise en scène qui nous fait tant rire... et tant pleurer ! Mais connaissez-vous réellement Chaplin ? Saviez-vous que sa tendre jeunesse ne fût pas aussi épanouissante qu'on peut le penser ? Son enfance et son adolescence (aussi perturbées que tragiques) lui ont permises de se forger un caractère mettant perpétuellement en avant son instinct de survie, chose qui, bien évidemment, se retrouve devant la caméra lorsqu’il interprète son double cinématographique, Charlot. S'il est un film qui illustre parfaitement ce combat face à l'adversité, c’est évidemment La Ruée vers l'or (The Gold rush), film de 1925 mettant en scène ce petit homme, à la recherche d'une fortune miraculeuse qui lui permettrait un confort décent et une vie un peu plus sereine, du moins financièrement.


            Petit récapitulatif succinct afin d'appréhender au mieux l’Œuvre de Chaplin : il naît à Londres en 1889, et grandit dans des quartiers peu reluisants de la ville. Né dans une famille d'artistes de music-hall, il débute son apprentissage du mime et de la comédie principalement grâce à sa mère. De père alcoolique qu'il côtoiera bien peu, c'est auprès d'une mère seule et quelque peu déséquilibrée mentalement, accompagné de son grand-frère Sydney, qu'il grandit. L'état de santé de sa mère se dégradant peu à peu, il sera conduit à l’orphelinat à diverses reprises durant son enfance. Lieu qui l'attriste profondément, il préfère vivre seul, dans une petite mansarde londonienne (son frère est engagé de son côté sur un bateau parti pour l'Amérique du Sud et sa mère se retrouve internée pour maladie mentale). Il survit grâce aux petits boulots qu'il trouve, mais c'est manifestement la comédie qui l'inspire le plus. Son frère, ayant intégré la prestigieuse compagnie de Fred Karno (1866-1941), tente d’y faire entrer son cadet. Une fois la chose faite, Chaplin développe là son talent de comédien qui lui permet de partir en tournée en Europe, et surtout aux États-Unis, où un certain Mack Sennet (1880-1960) va lui proposer un contrat et l’intégrer dans son équipe de tournage...
Ainsi commence la folle aventure de Chaplin, et le succès que nous connaissons tous.


            Ceci étant dit, revenons plus en détail sur La Ruée vers l'or. Ce film, à l'image du passé de son réalisateur, représente bel et bien le David terrassant Goliath de sa fronde. Comme dans bon nombre de films américains, le mythe reste une valeur refuge qui permet de créer visuellement une référence connue du public. Chaplin revisite ici ce mythe en montrant, par le biais de son personnage, que même le plus pauvre, le plus faible, le plus chétif ou le plus vulnérable peut réussir, et ce même s’il ne dispose pas a priori de toutes les qualités nécessaires à une ascension sociale fulgurante. From Rapgs to Riches, traduit littéralement par « des haillons à la fortune »,  illustre bien la métaphore du film: partir de rien pour atteindre des sommets, image parfaite du succès de Chaplin, qui devint extrêmement riche dans un laps de temps réduit. Son film offre ici un dénouement heureux, chose rare chez le cinéaste qui prouve l'importance du message qu'il tente de faire passer ici.

         La comparaison au nouveau David est visuellement implacable. Les corps parlent d'eux-mêmes : d'un côté le petit homme vulnérable mais non moins aventureux, et de l'autre, deux figures plus graves et plus féroces, Big Jim et Larsen. Ces deux personnages, Chaplin choisit de les façonner de la manière suivante : l'un grand, fort et tout aussi bienveillant, l'autre incarnant la férocité même. Pourtant, une scène peut ici confirmer la transposition du mythe, le combat entre Charlot et Big Jim, tous deux désespérément affamés. Ce dernier commence à avoir des hallucinations et voit ainsi notre Charlot se transformer en un extraordinaire poulet fort appétissant, tandis que Big Jim, vêtu d'un manteau de fourrure, sort de sa quiétude et apparaît tel un ours enragé et tourmenté par la douleur physique provoqué par la faim. Le duel prend fin grâce à l'arrivée d'un ours qui entre dans la bataille, pour être finalement terrassé, non pas par l’homme tourmenté, mais par le plus vulnérable des deux. En résumé, Charlot est à l'image de Chaplin, le petit parmi les grands qui, parti de rien et à force de travail méticuleux et acharné, parvint au sommet.
            La production cinématographique du cinéaste dévoile toutes ses qualités de comédien et de réalisateur, mais aussi de metteur en scène, sans compter qu'il compose lui-même la musique de ses films et qu'il est son propre producteur. Chaplin, c’est bel et bien une combinaison de toutes ces facettes en un seul homme ; facettes qui lui ont permis d'enrichir son art et de le révéler au grand jour, chose qui n'était pas si évidente, et qui lui valu la quasi indifférence du public lors de la sortie de son précédent film, le premier réalisé au sein de la United Artists, (société de production qu'il met en place avec d'autres illustres acteurs et réalisateur que sont Mary Pickford, Douglas Fairbanks et D. W. Griffith) :  L'Opinion publique (A woman of Paris, 1921). Mais ça, c'est une autre histoire...

« Du chaos naît une étoile », Charles Chaplin.

            Une dernière chose qui n'est absolument pas évidente aux yeux de tous, et que je trouve pour le moins amusante : nombreuses sont les personnes qui croient que Chaplin avait les yeux marrons… il n'en est rien, il était brun aux yeux bleus !



Géraldine Rodrigues