Un sentiment de nostalgie commence à m'envahir alors que mon séjour à Cannes se termine... Et cela semble influencer la programmation du jour, qui ne propose rien d'alléchant. Je partais pourtant confiant au "Théâtre Croisette JW Marriott" en me disant que j'allais voir Wrong Cop, le nouveau film de Quentin Dupieux (avec Marilyn Manson dans un rôle à contre-emploi). Mais avant de pouvoir le découvrir, il m'a fallu visionner le "packaging", des quatre courts métrages qui le précédaient. Un échantillon du cinéma mondial.
Drawn From Memory du Polonais Marcin Bortkoewocz (un étudiant en cinéma décide de réaliser un documentaire sur sa grand-mère récemment atteinte d'Alzheimer. Celle-ci accepte à condition de réaliser son rêver d'interpréter une vampire).
The Curse du Marocain Fyzal Boulifa (la relation amoureuse secrète de Fatine est découverte par un groupe de gamins qui menacent d'en informer tout le village. La jeune femme devra aller très loin pour empêcher leur chantage).
Tram de la Tchèque Michaela Pavlatova (ce matin-là, le tramway que les hommes prennent quotidiennement pour se rendre au travail, s'érotise au rythme des tickets introduits dans le composteur).
Les Morts-vivants de la Brésilienne Anita Rocha da Silveira (Bia a mystérieusement disparu, elle est "offline". Ses amis partent à sa recherche, en vain. Leurs messages envoyés seront lus quand elle sera "online", quand l'au-delà sera connecté au monde réel).
Rien de véritablement intéressant sur le plan formel et narratif, hormis le discours final, inquiétant, sur l'émancipation et la sexualité bridées des femmes marocaines dans The Curse. Les points de vue Occident/Orient s'entrechoquent puisque Tram aborde le même sujet, mais de manière décomplexée et comique. Le public est très réceptif aux allusions érotiques de ce film d'animation et l'applaudira deux fois. Détail incongru, parmi les spectateurs, une femme allaite son nourrisson sans la moindre gêne ! Le "Festival de Cannes", c'est aussi une prestigieuse nurserie...
Puis vient la "cerise sur le gâteau", Wrong Cop du Français Quentin Dupieux, d'une durée de 13 minutes (un flic corrompu et mélomane patrouille dans les rues de Los Angeles. Il rencontre un jeune amateur de techno et décide de lui donner une bonne leçon de musique). Tout est maitrisé (réalisation, montage rythmé, gags décalés) mais il s'agit surtout de teasing, puisqu'une version longue (composée de 6 épisodes) est prévue pour l'année prochaine. Ma déception vient également de l'absence du réalisateur lors de la conférence organisée sur le stand de la "Quinzaine des réalisateurs", même si, son actrice Roxane Mesquida et son producteur Grégory Bernard ("Realitism Films"), sont présents.
Autre regret, je croise le réalisateur Patrice Leconte dans la rue, en sachant que je ne pourrai pas voir son nouveau film (d'animation), Le magasin des suicides, adapté de l'ingénieux roman de Jean Teulé. La séance "Cannes Junior" étant exclusivement réservée aux enfants. Ce matin, je m'étais pourtant rasé entièrement la barbe... mais le subterfuge ne marchera pas. Au lieu de retourner en enfance, j'assiste à une conférence du "troisième âge" dans la "Salle Buñuel" : une rencontre avec l'acteur/producteur américain Norman Lloyd, 98 ans. Le débat est animé par les critiques Pierre Rissient (surnommé le "man of cinema") et Todd McCarthy. Parmi le public, Alexander Payne, Abbas Kiarostami et Pascal Thomas.
Lloyd a eu une carrière bien remplie et nous parle de l'âge d'or d'Hollywood, avec de nombreuses anecdotes, tel un historien du cinéma ! Influencé par Stanilavski et Brecht, il a d'abord joué dans des pièces de théâtre (The Front Page, King Lear), a collaboré avec Orson Welles (au "Mercury Theater" en 1937), Elia Kazan, Joseph Losey, Thomas Mann, Harold Pinter et les compositeurs John Barry, Aaron Copland. Puis il a tourné des films avec Charles Chaplin (Les feux de la rampe), Alfred Hitchcock (Saboteur et sa série tv), Jean Renoir (L'Homme du sud), a cotoyé les producteurs Lewis Milestone et Joan Harrison.
J'achève ma journée en N&B avec la projection de l'hilarant Les Barbouzes, en présence de Georges Lautner et Laurent Gerra, grand admirateur du réalisateur. Je passe un agréable moment en compagnie du trio Lino Ventura, Francis Blanche et Bernard Blier, parfois surpris par une mise en scène vivifiante, audacieuse, des dialogues savoureux de Michel Audiard, et un propos terriblement d'actualités (des agents de renseignements européens, américains, russes et chinois se battent entre eux pour récupérer les brevets nucléaires d'un milliardaire arabe fraîchement décédé). Ou comment mieux comprendre pourquoi certaines oeuvres méritent d'être restaurées davantage que d'autres. C'est toute la valeur du "Festival de Cannes", une "gigantesque salle de cinéma internationale et intemporelle"...
À suivre...
Maxime Lesage