The Wicker Man (1973), réalisé par Robin Hardy


Scénario de Anthony Schaffer. Avec Christopher Lee, Edward Woodward, Britt Ekland, Ingrid Pitt.


Le sergent Howie (Edward Woodward), protestant rigoriste scrupuleux des règles, est amené à enquêter sur la disparition d'une jeune fille dans un petit village insulaire au large des côtes écossaises (le film ne précise pas l'endroit). Sur place, il découvre une communauté païenne et celte, adepte de rites ancestraux basés sur la sexualité, le rythme des saisons, les offrandes au dieu Soleil, etc.

L'un des enjeux de ce blog est de faire découvrir aux lecteurs des œuvres méconnues, étranges, inclassables, bizarroïdes, poétiques, etc. Bref, une cinématographie qui va à l'encontre des normes, des règles de la bienséance et du politiquement correct. Transmettre notre passion d'un cinéma décalé et atypique, faire office de passeur, sont uns de nos nombreux objectifs et nous espérons que ce site puisse être un prisme à travers lequel des curieux, des passionnés, des politiciens véreux, des anarchistes libertaires, des traders névrosés, des artistes torturés, des écrivains opportunistes et des sportifs millionnaires puissent découvrir un genre de cinéma autre que celui proposé par les multiplexes (mon discours, je le reconnais, est un peu caricatural, mais il fallait que je trouve une accroche).

Le film dont nous allons parler ici-même est une œuvre « culte » (d'ailleurs il serait intéressant, dans un prochain article, de se pencher sur la notion de film culte : qu'est-ce qu'un film culte ?). Une de mes œuvres fétiches aussi. Le grand Christopher Lee a lui-même reconnu que The Wicker Man faisait partie des meilleurs films de sa longue et riche filmographie. Il est également le premier film de Robin Hardy, cinéaste issu de la publicité, et basé sur un scénario d'Anthony Schaffer, auteur de l'excellent Frenzy (Alfred Hitchcock, 1972), et du brilliantissime Le Limier (de Joseph L. Mankiewcz, 1972), à l'intrigue implacable portée par le génial Michael Caine.

Christopher Lee (Lord Summerisle) et Edward Woodward (Sergent Howie) en pleine discussion.

The Wicker Man n'aurait sûrement pas pu voir le jour sans la participation de Christopher Lee. Alors au faîte de sa gloire grâce aux productions Hammer, il désire s'éloigner de l'image de Dracula et s'orienter vers des rôles différents. A cet égard, il convient de noter que The Wicker Man fut souvent attribué, à tort, au mythique studio anglais, du fait de la présence au sein du casting de deux acteurs emblématiques de la Hammer : Christopher Lee donc, mais aussi Ingrid Pitt. Sauf que le long-métrage de Robin Hardy est très éloigné de l'esthétique gothique des films estampillés Hammer, et s'inscrit plus dans un cadre naturaliste. Caméra à l'épaule, lumière naturelle, cette approche quasi-documentaire sera malgré tout contaminée par une ambiance étrange et bizarre, entrecoupée de segments musicaux oniriques et envoûtants. Sous une apparente normalité, une étrangeté latente se cache, qui n'est pas sans rappeler les œuvres de Roman Polanski.

Au fur et à mesure de son enquête, le sergent Howie découvre les étranges us et coutumes des habitants : le premier soir, alors qu'il se promène, après son dîner, il est témoin d'une partouze en plein air. Le lendemain, alors qu'il enquête à l'école primaire de la jeune fille disparue, il assiste à un cours dans lequel la professeure enseigne aux jeunes enfants le sens du symbole phallique et l'importance de la sexualité dans leurs croyances. Tout le long du film, Howie, le policier bigot, attaché à sa morale protestante, est profondément ébranlé devant les mœurs dissolues des insulaires. S'ensuivront des débats houleux dans lesquels Howie et Lord Summerisle (Christopher Lee), le patriarche de la communauté insulaire, échangent des propos philosophicos-religieux. D'un côté, le puritain, et protestant Howie, engoncé dans ses croyances et certitudes religieuses, persuadé que sa religion est la seule et unique vérité, et de l'autre, Lord Summerisle, personnage en apparence affable, mais qui se révélera par la suite cruel, manipulateur et aussi intolérant que le sergent Howie.

Petit à petit, des petites touches surréaliste, baroques et grotesques viennent servir de contre-point au caractère réaliste de l'œuvre. Le film a souvent été comparé à Alice aux Pays des Merveilles (Lewis Carroll), d'autant plus que le symbole du lapin est cité dans le film. Le concept de Freud, l'inquiétante étrangeté, sied parfaitement à l'atmosphère du film qui se finira dans un final à la fois cruel et rédempteur.

Ambiance étrange et baroque dans The Wicker Man

La grande qualité de The Wicker Man est son aspect hybride : polar, comédie musicale (avec la superbe musique folk de Paul Giovanni), film fantastique, comédie teintée de poésie surréaliste... Cette hybridité narrative aurait pu nuire à l'équilibre de l'œuvre, mais c'est au contraire sa principale force qui parvient à maintenir une cohérence du début à la fin sans que cela porte préjudice au rythme du film.

Récit initiatique, œuvre singulière, conte symbolique, The Wicker Man est un chef-d'œuvre du cinéma anglais des années 70 qui mériterait d'être redécouvert par un plus grand nombre. D'aucuns ont vu en The Wicker Man un film à forte résonance politique et symbolique. Le sergent Howie symboliserait l'Angleterre protestante, puritaine et intolérante, venant sur l'île pour imposer la religion chrétienne. Les habitants de l'île représenteraient les écossais, peuple païen, dont leur seule issue sera l'évangélisation par le sergent Howie, donc par l'Angleterre (Attention Spoilers !). La mort du sergent Howie, à la fin du film, dans un autodafé propitiatoire, en guise d'offrande faite au dieu soleil par les habitants de l'île, peut être interprété comme un acte purificateur, symbole de destruction du symbole colonial. Suite à cet acte cathartique, il ne reste plus qu'à reconstruire une nouvelle Écosse.


Le sergent Howie dans sa « mission » évangélisatrice

Le film est sorti en dvd en 2003 (je ne me souviens plus de la date exacte, à vérifier), dans la collection Cinéma de Quartier, supervisée par Jean-Pierre Dionnet dans ses deux versions : le Director's Cut et la version cinéma, plus courte de 10 minutes. Le Director's Cut a été sauvegardé par le mythique Roger Corman, suite à d'innombrables imbroglios, dont il avait gardé par hasard une version bêta. Je recommande vivement le visionnage du director's cut, plus conforme à la vision initiale de ses créateurs. Mais la version cinéma est d'un grand niveau également.

Pour l'anecdote, peu de temps avant la sortie du film, Rod Stewart voulait s'accaparer toutes les bobines du film pour effacer la scène où son épouse de l'époque, Britt Ekland, l'actrice principale du film, apparaît nue.


Une copie 35 mm existe, et un de mes souhaits serait de le projeter, durant une soirée cinémattack, suivi d'un deuxième film pour renouer avec l'esprit du cinéma d'exploitation d'antan.


Valentin B